1 mars 2013
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Toute enfance n'est-elle pas blessure irrémédiable ? Dès sa naissance, Louis fut abandonné par sa mère. Confié à sa grand-mère, il vit quelques années de bonheur radieux, mais les bombardements de juin 1944 en Normandie l'arrachent à celle qu'il aime. À dix-huit ans, il décide de s'exiler en Afrique pour commencer une nouvelle vie, mais il est rappelé en France à la mort de son père. Il doit alors apprendre à en faire le deuil, à accepter sa bâtardise tout en reconstruisant une personnalité défaillante.
Roman de la mémoire, Cheval-Roi est aussi un roman sur l'amour des chevaux qui permettra au narrateur de se réconcilier avec le monde et avec lui-même. Autant de sursauts où la conscience malheureuse s'éprouve et se met à vif dans une écriture tendue entre risque et délivrance. Cet écrivain de l'aveu, qui sait que vivre est l'aventure essentielle, nous invite à ne pas ignorer qu'il y a toujours un autre univers, caché dans celui-ci.
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Mes impressions : Ce livre m'a beaucoup plu tant pour l'histoire que pour les mots et les phrases de l'auteur. Louis, le petit garçon, grandit, quasiment seul . Ignoré, mal aimé, il parvient tant bien que mal à se reconstruire, un peu avec son amour des chevaux mais surtout par ses rencontres : Dédé le mendiant est, pendant son enfance, son seul vrai contact humain ; les années au collège des Jésuites le laisse plus seul que jamais. Le voyage au Dahomey (ancien nom du Bénin, l'action se passe à ce moment là en 1958) lui apprend cependant qu'il peut être "aimable" à défaut d'avoir été aimé. Accepté par les villageois, il travaille, les aide à construire maison et latrines.
En filigrane, les chevaux sont très présents qu'ils s'agissent des chevaux de sa petite enfance, de la place du cheval en Afrique (quelques pages très dures à ce moment là) et lors de son retour avec la complicité avec Agathe, la belle châtelaine cavalière.
Enfin, Hannah lui apportera autour de ses 20 ans une révélation qui pourra le faire repartir sur de bases saines après son enfance sacrifiée, et oublier la haine qui le brûle. Sans révéler la fin, celle ci est pleine d'espoir pour le jeune Louis.
Des chapitres courts s'enchaînent, forts, percutants. Le premier chapitre (magnifique) entre directement dans l'histoire de Louis, en racontant l'accouchement de Madeleine, 17 ans, et de son rejet immédiat de son fils.
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Un petit extrait sur la place de la langue et des mots dans la vie de Louis
A l'enfant qu'il était, dès les premiers jours privé de mère et négligé par les siens, se replonger dans l'enfance ne paraissait pas seulement l'aspiration la plus vive de la nostalgie : cet enracinement était déjà le voeu d'un plus profond retour, à l'obscure félicité des origines. Sa grand mère qui lui avait tenu lieu de louve, c'était elle là qui, chansons, comptines , parler enfantin, noces merveilleuses des mots et des rythmes, avait dès le commencement infusé en lui l'amour de la langue, de cette langue confondue désormais avec sa respiration même et les battements de son coeur.(P79)
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Un petit passage sur l'Afrique où Louis tombe malade
A quelle faiblesse, à quel constat de défaite se raccrocher pour survivre à cette fièvre paludéenne ? Accepter la maladie comme l'absence , l'abandon, la solitude ? comme la chose la plus naturelle ? comme la porte étroite par laquelle il lui fallait passer pour être accepter des africains? La marginalité, comment avait-il pu penser la repousser dans un lointain ailleurs et comment aujourd'hui y rêverait il encore ? On ne guérit pas de son enfance . Elle est ici, elle est au monde, au bout du monde, elle n'a jamais cessé d'y être. Le reflet de Louis traînait , épuisé, presque souriant, espérant qu'au delà de la souffrance se lèverait un jour nouveau , purifié.
L'Afrique n'est elle pas un serpent qui vous mord? L'amertume de son venin, mêlée à une insoutenable douceur, vous épuise et vous soulève, vous délite et vous délivre. Comment alors fuir et d'un même élan s'acharner et persévérer, comment se retourner encore dans ce monde qui descelle et démantèle ?
Quel tumulte en lui ! Toutes les vieilles douleurs remuées, de nouveau qui remontaient. Mais Louis a - t-il entendu Akakpo, le chef , dire d'une voix anxieuse :"Ce blanc va mourir ici " , comme si tout était à jamais inscrit dans le vent, à même la respiration par un vautour gaucher et qu'Akakpo seul avait le pouvoir de lire. p119
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Un extrait sur son enfance chez sa grand mère
Seuls jours de son enfance si pleinement vécus que ceux qu'il passait avec les chevaux! Il se souviendrait toujours de l'odeur montante, lourde, épicée des cuirs qui faisandent dans l'humidité ou qui font sécher leur sueur au soleil.
Tout petit déjà, sa grand mère le confiait aux chevaux qu'elle élevait, lorsqu'elle étendait le linge ou travaillait au jardin. Grésil, son compagnon de jeu entre tous, se penchait : Bélou prenait la tête de Grésil entre ses mains pour lui déposer un baiser sur le front, à l'image de sa grand-mère au moment de le mettre au lit. Puis il murmurait de douces paroles à l'oreille de son compagnon. Les autres chevaux, nez en l'air, membres raidis, s'empressaient autour de lui, impatients. Sur son visage se lisait l'avant-goût du bonheur et de la paix :
- Oh! Attendez mes amis,je cours chercher le ballon.
Assis sur un tas de foin, de crottes, d'épis de maïs rongés jusqu'à la racine, il faisait voler le ballon et les regardait, l'oeil malicieux. Ses amis poursuivaient maladroitement la balle qu'ils frappaient des membres antérieurs.
Les petits voyous s'en donnent à coeur-joie! leur lançait-il, répétant sans doute une phrase entendue dans la bouche de Mamama.
Quand il pleuvait et qu'ils devaient rester à l'écurie, Bélou inventait d'autres jeux. Il se coiffait d'un vieux chapeau de paille puis s'asseyait devant le boxe de Grésil, l'encourageant à saisir le couvre-chef avec ses dents. Il le grondait affectueusement,le traitant de voleur, avant de recommencer. Si par hasard, celle qu'il appelait Mamama l'entendait, elle lui faisait signe de se taire pour ne pas effrayer les chevaux.
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En conclusion : un livre et un auteur que je recommande fortement

Ma participation au challenge de Calypso un mot des titres : Le mot était "roi"

Ma troisième participation au challenge Lecture francophone d'ailleurs de Denis du blog "Au bonheur de lire"
Gaston-Paul Effa est né au Cameroun en 1965 et enseigne la philosophie en Lorraine. Il est notamment l'auteur de Tout ce bleu (Grasset, 1996), M (Grasset, 1998), qui reçut le prix Erckmann-Chatrian 1998 et le Grand Prix littéraire de l'Afrique noire 1998, ainsi que de Le cri que tu pousses ne réveillera personne (Gallimard, 2000).
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et au challenge des animaux de Sharon

et au challenge tour du monde de Helran en 8 ans pour le Cameroun