9 janvier 2013
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Ce livre raconte cette épopée, tout d'abord les préparatifs du Bouzkachi en lui même, son déroulement mais surtout ce qui suit cette épreuve à Kaboul.
Toursène, une soixantaine d'année, est intendant des écuries. Il ne peut quasiment plus monter à cheval tellement il a eu de fractures. Se lever le matin et s'habiller est une torture, mais stoïque, il n'en laisse rien paraître. Il est chargé de nommer l'équipe - cavaliers (aussi appelés Tchopendoz) et montures - qui va aller représenter sa région, Maïmana, au Bouzkachi à Kaboul. Il confie Jehol, un splendide étalon à son fils Ouroz (une quarantaine d'années)
Gravement blessé lors du Bouzkachi, Ouroz est transporté à l'hôpital de Kaboul. Soigné par une européenne, il se sent humilié par les soins de celle-ci et décide de rentrer chez lui par une route peu fréquentée dans les montagnes (pour échapper à d'éventuelles poursuites)
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Mokkhi le saïs (palefrenier) de Ouroz l'aide au début dans cette entreprise insensée : des centaines de kilomètres à faire avec un homme ayant une fracture ouverte à la jambe et qui a du mal à se tenir sur le cheval. Ouroz est un personnage, très complexe, très fier et orgueilleux, plein de contradictions. Il manipule les gens, crée un plan (que le lecteur ne connaît pas, je ne suis même pas sûre d'avoir bien compris le plan en question)
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Le lecteur suit les réflexions de l'orgueilleux Ouroz, de son non moins orgueilleux père, du gentil Mokkhi qui devient de moins en moins gentil au fur et à mesure des provocations d'Ouroz qui semble devenir fou. Lors de ce périple, les deux hommes rencontrent une jeune nomade, Zéré, qui rêve de s'approprier le cheval d'Ouroz ainsi que sa fortune.
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Guardi Guedji, appelé aussi "l'aïeul de tout le monde" intervient également en début, milieu et fin du livre. Il incarne la sagesse, explique certaines coutumes, aide les personnes à voir clair dans leurs motivations.
Ce livre est époustouflant tant par la complexité des personnages que par l'action en elle même. Les rapports père-fils, sont abordés de façon intéressante : Toursène envie son fils, l'aime, le déteste, l'admire. Ouroz déteste son père pour son emprise sur sa vie, son indifférence, la répudiation de sa mère devenue stérile.
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Les rapports à l'argent sont également finement analysés (Ouroz dilapide son argent, la petite Zéré est prête à tout pour sortir de sa misère). Enfin l'amour est présent, celui pur de Mokkhi pour Zéré et intéressée de sa part à elle.
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Un coup de coeur pour ce livre où les espaces sont tour à tour immenses (la steppe) et exigus (la traversée finale entre deux montagnes), les personnages complexes (pas de bons ou de mauvais, juste des êtres humains dépassés par leurs passions)
Jehol le cheval fou est également très présent : il comprend la situation, défend son maître contre les tentatives d'assassinats.
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Un extrait sur La façon dont Toursène (le père) voit Jehol, le cheval :
Non, pensait le vieux Tchopendoz, jamais plus on ne verrait un cheval comme celui là. Parce que jamais plus il n'y aurait un Toursène pour en faire un autre. Pour choisir le mélange des sangs. Surveiller la nourriture du poulain pendant les trois premières années où il connaissait une liberté complète. Le seller, le brider, le monter pendant trois années ensuite. Et puis, encore pendant trois ans, pour le former, pas à pas, exercice par exercice, muscle par muscle, aux fatigues, aux acrobaties terribles.
Il fallait en vérité, à tous les coursiers de Bouzkachi, les qualités les plus rares et les plus contraires : la fougue et la patience, la vitesse du vent et l'entêtement d'une bête de bât, la bravoure du lion et l'art d'un chien savant. Pourtant, aucune de ces montures étonnantes ne se pouvait mesurer à l'étalon dont le souffle chaud caressait les joues parcheminées de Toursène.
Un extrait du Bouzkachi
Les deux Tchopendoz couraient à leur rencontre afin de saisir, d'accrocher Ouroz et sa monture. Ils atteignirent leu proie ensemble avec un hululement de victoire. Juste à ce moment Jehol se dressa tout droit sur ses sabots arrière, tourna sa tête hennissante vers l'ennemi de gauche et lui broya la main entre ses dents, tandis qu'Ouroz comme détaché de l'étalon, levé sur ses étriers, frappait du manche de sa cravache l'autre tchopendoz en pleine poitrine et le désarçonnait.
Un extrait sur un souvenir d'enfance d'Ouroz
Des genoux et des rênes, Ouroz avertit Jehol de mettre fin à ses jeux. L'étalon obéit de mauvais gré. Sa démarche se fit dure et rétive.
"Va, va, lui dit en pensée Ouroz. Je ne suis pas un vieillard qu'amollissent tes charmes."
Une souffrance étrange lui vint en cet instant. Ce n'était pas vrai. L'âge n'était pour rien dans le comportement de Toursène. Il y avait toujours eu un Jehol pour son père. Et le cheval, toujours avait occupé le premier rang.
Quand Ouroz dans son enfance avait une maladie, Toursène le laissait aux soins des femmes. Quand c’était le poulain, il ne le quittait point, partageait sa litière. Une image tout à coup se leva dans la mémoire d'Ouroz. L'écurie.... la pénombre.... Et là, Toursène qui jamais ne l'embrassait, lui, son garçon, Toursène portait contre sa poitrine formidable, comme une sorte de jouet vivant, un tout petit, tout petit cheval, tout nu, tout humide, qu'il ranimait et berçait.
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Dernier extrait : Ouroz une fois rentré chez lui, mutilé, s'interroge sur son avenir :
"Qu'a-t-il besoin de courir l'homme pour lequel il n'est point de retour ? "
Pas de retour, cela de toute manière était sûr. Et le but? La frontière russe était proche. Ensuite - Tachkent, Samarcande ? Il y avait aussi, du côté de l'Iran, ces déserts impitoyables, inconnus. Il pouvait s'y enfoncer, s'y perdre....Et aussi l'horizon où le soleil se lève. Après la province de Mazar, après le Kataghan, après le Badakchan, au bout de la terre afghane, il y avait le Qual. En Panja, le couloir du mystère, si haut, si haut qu'il touchait au Toit du Monde.... On y voyageait sur des buffles à fourrure blanche .... L'homme des neiges y habitait....Ainsi rêvant, Ouroz sortit du domaine. Alors, pensées, projets ou songes - rien n'eut plus de sens pour lui.
Rien que la steppe. Devant lui. A lui. A lui, né une deuxième fois pour elle. Net dans ses riches vêtements, fort et souple sur sa selle. Et libre comme personne sur terre n'avait pu et ne pouvait l'être. Il serrait entre ses cuisses l'étalon qui, en beauté, en vigueur, n'avait point son pareil. Et comme lui, fils des steppes, dévoré par l'instinct de fondre sur ce frémissant espace. Par sa peau, ses os, ses nerfs, tout son sang, Ouroz, dans son désir, était avec Jehol une seule créature.

Ma première participation au challenge Lecture francophone d'ailleurs de Denis du blog "Au bonheur de lire"
lecture rentrant dans la dernière catégorie 4/ Ecrivains qui ont choisi de s'exprimer en français (et qui ne viennent pas de ces pays)
Joseph Kessel est né en Argentine en 1898, a vécu avec ses parents dans l’Oural, berceau de sa mère de 1905 à 1908, avant de venir s’installer en France.(source Wikipedia)
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et ma troisième lecture dans le cadre du challenge Totem de Liligalipette pour Jehol, le cheval, un personnage à part entière
