Elle passe rapidement devant l’immeuble Mercure. Quand elle a emménagé dans cette résidence, elle a trouvé que les constructeurs étaient bien prétentieux d’avoir appelé les neufs bâtiments avec un nom de planète. Au centre le square, pompeusement appelé Place du Soleil puis les immeubles, éparpillés autour, de la couleur de la planète qui porte leur nom. Ces batiments respectent plus ou moins la position de la planète par rapport au soleil. Elancés, une douzaine d’étage, tels des orgues vers le ciel, ils semblent l’accompagner dans son trajet quotidien.
Avant, elle évitait soigneusement le bâtiment Mars. Trop de tags qui lui semblaient s’empiler, se chevaucher, une anarchie de couleurs, une orgie de signatures illisibles Et puis c’est là qu’habite le gardien , le martien comme l’appelle les voisins tellement il est rouge et toujours près à croire qu’on l’offense. Il vocifère, vitupère, râle d’avoir à effacer les tags.
Elle redécouvre son quartier avec un œil neuf, comme lavé de tout préjugé. Elle aime ces graffitis oranges, jaunes et blanc de la tour Mars. Ils la transportent.
La première fois qu’elle a vu le graffiti, elle a pensé à ce vieux dessin animé, à Mary Poppins et à son ombrelle. A chaque fois qu’elle passe devant, elle imagine une nouvelle histoire : une histoire de fée qui vole sur son balai, intrépide, ne craignant ni les orages ni les tempêtes. Les grands yeux de la fée lui paraissent briller comme de l’or. Sa main tient fermement la bride de son cheval fougueux. Un cheval magique, ou tout au moins sorti d’un rêve. Oui c’est cela un cheval onirique à défaut d’être un vrai cheval.
Depuis la semaine dernière, la fée n’est plus seule mais entourée d’hippocampes : quel artiste ce graffeur ! Qui peut bien t il être ?
Elle oublie sa campagne natale, les ormes le long de l’allée, la maison de ses parents, la serre et les fragiles orchidées. Elle s’habitue, Elle s’habitue à la ville. Bientôt, elle sera en osmose avec son quartier comme avant elle aimait la campagne environnante. Elle vit presque sur une autre planète maintenant. Il faut bien trouver un emploi et c’est encore en ville qu’il y a le plus d’opportunités. Au départ, cet exil lui pesait et maintenant elle apprécie. Se retrouver dans l’anonymat de la ville.
Alors tous les matins, pour prendre le bus, elle traverse toute la résidence, rallongeant son trajet de quelques minutes pour le plaisir de voir les dessins anonymes. Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton. Elle fredonne la chanson de Grégoire « Allez là, je suis dans le bus, le 41 pour vénus…. », un octave trop haut mais qu’importe.
En plaisantant, à ses amis restés à Villeperdue, elle a lancé samedi dernier : « j’ai encore traversé la galaxie ce matin, un quart d’heure à peine». Ils se moquent d’elle de sa façon d’être toujours dans la lune.
Ce matin, elle est partie plus tôt. Beaucoup de boulot au bureau et son chef lui a demandé de venir aux aurores. « Ce n’est pas une obligation, bien sûr a-t-il dit, mais cela nous permettrait de boucler le dossier avant le week-end ». Alors, elle a fait preuve d’obéissance et avec son obsession de rater son bus, puis son train, elle est partie à cinq heures du matin. Dans la résidence déserte elle respire calmement, elle inhale l’air de la ville endormie. A peine quelques fenêtres sont ouvertes et allumées. Elle devine des silhouettes derrière les rideaux. Elle prend son chemin habituel, Mercure et ses thermomètres avec des yeux, de grandes bouches écarlates, des jambes à la peinture noire. Devant Vénus, le graffeur la fait toujours sourire avec sa Vénus de Milou (un amateur de Tintin celui là), Mars la rouge, sa fée orange et les hippocampes multicolores, la Terre et ses océans, Jupiter la géante à rayures, Saturne et ses anneaux d’opale, Neptune et son trident.
La voilà bientôt parvenue à son arrêt de bus, juste derrière Pluton, quand soudain un mouvement attire son attention.
Oh ! Le jeune homme à cagoule a eu beau cacher sa bombe rapidement, et s’engouffrer dans la cage d’escalier, elle l’a reconnu : le graffeur, c’est le fils du gardien, le martien.
Les graffitis ayant inspirés cette histoire sont de Nina Graffiti
Les mots collectés par Asphodèle :
Or - opale – orange – osmose – ode – obligation – offense – Oh – ordinaire – orage – obligation – opportunité - Ouverte - onirique – obsession – ombrelle – obéissance – oubli – octave – orgue - océan - orme - orchidée
La consigne des Impromptus littéraires de la semaine :
En vers ou en prose, parlez nous des planètes, de Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et même Pluton.