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13 juin 2013 4 13 /06 /juin /2013 06:09

     Un dimanche soir que je m'étais attardé au bourg, je trouvai, en rentrant au logis, ma femme et ma servante à demi-mortes de peur.

Elles avaient des figures si bouleversées que j'en fus effrayé moi-même. Evidemment il avait dû, en mon absence survenir quelque malheur. J'élevais à cette époque un magnifique poulain. Ma première pensée fut qu'il s'était cassé la jambe...

- Tu n'as pas vu déboucher une charrette par le chemin de la mort?
- En vérité, non. 
- Nous non plus, nous ne l'avons pas vue, mais en revanche, je te promets que nous l'avons entendue! C'était là-bas, dans la montée. Jésus, Dieu, quel bruit ! les chevaux soufflaient avec une telle force qu'on eût dit le fracas d'un vent d'orage. Le grincement de l'essieu vous déchirait l'oreille...A un moment l'attelage s'est mis à piétiner sur place comme impuissant à gravir la côte...
Ah ! Il en donnait des coups de sabots dans le sol ! Cela sonnait comme des marteaux sur l'enclume.... 

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Anatole Le Braz - Le passeur d'âmes 

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6 juin 2013 4 06 /06 /juin /2013 06:09

 

Les trois premiers jours, Michel-Ange attend.
Il sort peu, principalement le matin, sans oser s'éloigner des environs immédiats des magasins du Florentin qui le loge. Manuel le traducteur l'accompagne, lui propose de découvrir la ville, de visiter la basilique Sainte- Sophie ou la magnifique mosquée que le sultan Bayazid vient de faire construire sur une hauteur. Michel-Ange refuse. Il préfère sa promenade habituelle  : tourner autour du caravansérail, atteindre le port, longer les remparts jusqu'à la porte della Farina, comme l'appellent les Francs, observer longuement la rive opposée de la Corne d'Or et rentrer dans ses appartements. Son guide le suit, silencieux. Ils ne parlent presque pas. Michel-Ange ne parle d'ailleurs à personne. L'artiste prend ses repas la plupart du temps dans sa chambre. Il dessine. 
Michel-Ange ne dessine pas de ponts. 
Il dessine des chevaux, des hommes et des astragales. 
Mathias Enard - Parle leur de batailles, de rois et d'éléphants
 

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30 mai 2013 4 30 /05 /mai /2013 00:00

 

« Je vais vous raconter une histoire, dit-il, une légende si ancienne que les plus vieux ouvrages qui en font état se contentent en fait de citer des sources plus anciennes encore. Je crois que ça devrait vous intéresser.
« Un cheval, qui avait pour ennemi un loup aussi puissant que dangereux, vivait constamment dans la hantise de périr sous les crocs du féroce animal. Poussé par le désespoir, l’idée lui vint de s’attirer les faveurs d’un puissant allié. Il alla donc trouver un homme et lui proposa de faire un pacte avec lui, arguant que le loup était également l’ennemi de l’homme. L’homme accepta aussitôt et proposa de tuer le loup sans tarder, à condition que le cheval mît sa vélocité, qui était considérable, au service de son nouvel allié. Le cheval y consentit volontiers et permis à l’homme de lui passer une bride au cou et de mettre une selle sur son dos. L’homme enfourcha le cheval, partit aussitôt en chasse, retrouva le loup et le tua. 
Le cheval tout à la joie d’être débarrassé de son ennemi, remercia l’homme en ces termes : « Maintenant que notre ennemi commun est mort, retire cette bride de sur mon cou, ôte cette selle de mon dos, et rends moi ma liberté. »
« Ce à quoi l’homme répondit en éclatant de rire : N »y comptes pas ! » Et il l’éperonna derechef »
Le silence se fit dans la pièce. Wienis, ombre parmi les ombres, ne bougea pas. 
Hardin poursuivit tranquillement : « Vous voyez l’analogie, j’espère. Dans leur désir de s’assurer à jamais la domination sur leurs peuples, les rois des quatre royaumes ont accepté la religion de la science, laquelle leur octroyait un statut divin. Mais cette religion leur a ôté la liberté car elle plaçait l’énergie atomique entre les mains du clergé, lequel, vous l’avez oublié prenait ses ordre de nous, et non de vous. Vous avez tué le loup, mais vous n’avez pas pu vous débarrasser de l’’h… »
Fondation - Isaac Asimov
 

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23 mai 2013 4 23 /05 /mai /2013 07:02

 

Une fois par semaine, une mère prend le train pour aller en ville. Une enfant a le droit d'y aller deux fois par an. Une fois au début de l'été, et une fois au début de l'hiver. En ville, l'enfant se trouve laide, parce qu'elle est bien trop emmitouflée. La mère l'emmène à la gare à quatre heures du matin. Il fait froid, même au début de l'été, à cette heure là. La mère veut être sur place à huit heures, pour l'ouverture des magasins. 
D'une boutique à l'autre, l'enfant enlève quelques vêtements, les porte à la main et en perd certains en ville.  Voilà pourquoi sa mère n'aime pas l'y emmener. Mais il y a une chose plus grave : la petite voit les chevaux trotter sur le macadam. Elle s'arrête et voudrait que sa mère attende, elle aussi, que d'autre chevaux arrivent. Sa mère n'a pas le temps d'attendre, et ne peut pas repartir toute seule. Elle ne veut pas perdre l'enfant en ville. Elle est obligée de tirer l'enfant par la main. La petite se fait traîner en disant : t'as entendu, les sabots font un autre bruit que chez nous. 
D'une boutique à l'autre, puis pendant le trajet de retour en train, et des jours plus tard, l'enfant demande : pourquoi les chevaux ont des talons hauts, en ville.
 
Animal du coeur - Herta Müller

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16 mai 2013 4 16 /05 /mai /2013 00:00

 

 

Zingaro, autrement dit bohémien, était un gros bébé poilu de deux ans, pataud et bancal, lorsque Bartabas l'acheta en 1984, à Alex Wilms, un marchand bruxellois. Sans doute pensait- il à cette rencontre cardinale lorsqu'il griffonna, quinze ans plus tard, ce poème amoureux sur un bout de papier : " Après s'être longtemps observés à distance / ils se retrouvèrent un matin face à face / ce fut le cheval qui fit le premier pas". Bartabas le paterna, l'éleva, le dressa, le balada, le muscla, plus jamais ne le quitta. Il grandit sous les vicinales, nez et crinière jais au vent, suivit sans changer d'allure la roulotte du cirque Aligre de pays en pays et son maître, de spectacle en spectacle.  Mieux qu'un animal, un partenaire d'une fidélité absolue, un allié substantiel, et un symbole assez fort pour que son "hypponyme", gravé au fronton du théâtre équestre, devienne le nom de la compagnie. D'un cheval noir et luisant, on dit qu'il est moreau. Zingaro était aussi moral.  

  Jérôme Garcin - Bartabas, Roman   

 

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25 avril 2013 4 25 /04 /avril /2013 00:00

 Le carton, tout simple, d'un genre que je ne connaissais pas, est arrivé par la poste, au début de 1999. Au recto, figurait l'annonce suivante : "Le théâtre Zingaro vous fait part du décès du cheval Zingaro. Il s'est éteint à l'âge de dix-sept ans. Il avait participé à tous les spectacles depuis quinze ans." Au verso, signé Ernest Pignon- Ernest, un portrait au crayon, trait noir sur fond blanc, du beau disparu tel qu'en lui même la légende le fixe, à la dernière d'Eclipse : accroupi dans la neige, les antérieurs tendus, la lourde encolure en col de cygne et la tête méditative. Une version équine du penseur de Rodin.

 

Haut de garrot, ce prince des ténèbres appartenait à la race volontaire et très résistante des frisons, originaire des Pays-Bas, qui fut créée jadis pour la guerre, les travaux des champs, les attelages royaux, avant d'être adoptée, au XIXème, par les pompes funèbres ; tirée, portée par eux, la mort était non seulement confortable mais aussi majestueuse.

 

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  Jérôme Garcin - Bartabas, Roman   

 

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18 avril 2013 4 18 /04 /avril /2013 00:00

  

Difficile d'imaginer plus froid que la Iakoutie, aujourd'hui république de Sakha, où souvent le thermomètre descend jusqu'à moins cinquante degrés. Pour résister, les petits chevaux développent un poil d'hiver si abondant et si pelucheux qu'on dirait des fourrures. En apparences banals, sans avoir  même le caractère sanguin des shetlands, ils deviennent fascinants dans la taïga. Ils savent se nourrir d'un invisible lichen en grattant la neige d'un sabot négligent. Ils galopent au milieu des congères avec un équilibre et un aplomb enviables. Ils sont à la fois farouches et sociables. Les Iakoutes les montent à cru et les mangent cuits. (Bartabas n'a toujours pas digéré le festin qu'on lui a offert, le jour de son arrivée à Iakoutsk, composé de steaks, tripes et saucissons de poneys. C'est la seule fois de sa vie que, dégouté, il a été obligé de se gaver d'équidé).

  Jérôme Garcin - Bartabas, Roman   

 

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11 avril 2013 4 11 /04 /avril /2013 00:00

 

Omar-Jo se leva, fit lentement le tour de la piste, posa la main sur le toit sculpté du carrosse. Au bout de quelques secondes, il s'adressa au forain qui s'évertuait à rafistoler l'étrier d'un des chevaux de bois :

- Ton manège est le beau. Mais moi, j'en ferai le plus beau de la ville. Le plus beau de tout le pays !

 Sans attendre de réponse, l'enfant se dirigea vers la cabine, y pénétra, fouilla dans un coffre rouillé, en tira des chiffons et des produits d'entretien. Derrière le tiroir-caisse, il découvrit un plumeau, un balai. Amassant le tout, il revint sur la plateforme et se mit tout de suite au travail.

Passant du cheval gris moucheté au noir, au fauve, à l'alezan, au bai-cerise, il frotta leurs jambes, leur poitrail, leurs flancs ; les bouchonnant comme s'ils étaient vivants. Il lustra leurs crinières et leurs queues, fit étinceler brides et rênes. A califourchon sur chaque monture il rinçait, puis curetait l'intérieur de leurs oreilles, de leurs naseaux.

- Des nids à poussière! s'exclama-t-il à quelques pas de Maxime qui le fixait bouche bée. Finalement, il entreprit le nettoyage du carrosse. 

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Andrée Chedid - L'enfant multiple

 

 

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28 mars 2013 4 28 /03 /mars /2013 19:29

      Il le posa sur l’oreiller à côté de la tête de Cady et me tendit un vieux hochet en carapace de tortue qui était décoré de dents, de cheveux et d’ongles de cerfs. Il ne me donna pas l’ordre d’agiter le hochet, alors je restai immobile. Henry parla d’une voix calme mais décidée.

- Esprits, entendez moi. Pensez particulièrement à moi, pauvre homme. Ceux qui entrent dans ma hutte pour y trouver la sécurité, puissent-ils, lorsqu’ils sortent, laisser derrière eux tout ce qui est mal. Souvenez-vous d’eux. Puisse le bonheur venir à eux, souvenez vous d’eux. 
Il s’arrêta et prit une profonde inspiration. La partie qui suivit fut énoncée comme si elle traduisait une vision.
- Laissez les chevaux de différentes couleurs venir à eux. (Il fit un signe de tête vers les fenêtres orientées à l’ouest et un geste vers le crâne de bison.) Votre pipe et pleine. Venez fumer. Quand ils sortiront de ma hutte, que le bien les accompagne. Qu’aux  lieux d’où ils viennent, ils portent tous la bonne fortune. Que tous nos parents reçoivent le bien. Qu’ils embrassent leurs enfants dans la joie. Que leur chemin suive celui du bonheur. 
 

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21 mars 2013 4 21 /03 /mars /2013 19:29

      

- Comment ces deux là se sont ils retrouvés ensemble ? 
Elle saisit son verre d’un geste réticent. 
- Nous le détestions tous, alors, bien sûr elle l’a épousé. (Elle but une gorgée.) La réaction a toujours été la marque de fabrique de Victoria. 
Elle fit tourner le vin dans son verre, le contempla, et j’espérai qu’elle se remettrait à chanter. 
- Je n’ai jamais pensé que ça allait durer. Il était si conforme, si normal. 
Je hochai la tête.
- Nous appelons ça le débourrage forcé. Là, d’où je viens, quand on a un cheval qui a trop de caractère, on l’attache tout simplement  à une mule pour la nuit. Quand on revient le lendemain matin, on a un cheval différent. 
Elle m’observa. 
- J’imagine que c’est toujours la mule qui gagne ?
- Oui presque toujours. 

 

 

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