Un amant silencieux était pour elle une bénédiction. Celui qui se tait n’attend rien de vous. Les peaux suffisent amplement au dialogue. Quelques baisers, la cigarette qu’on échange, un sourire après l’amour, et la présence du jardin, si proche…
Sa bouche reste fermée. La lèvre supérieure, rose pâle, délicatement ourlée, frémit de temps en temps. Il se demande si elle va se mettre à parler, et si la magie de la nuit va disparaître. Mais non, elle ne dit rien et le regarde de ses yeux clairs. Une couleur un peu grise, indéfinie, comme lavée de tous désirs suite aux caresses et baisers de la nuit. Dans ses yeux, une lueur : est ce le reflet du jardin ? du soleil dont les rayons entrent, timidement, par la porte-fenêtre grande ouverte? Oui, ce doit être cela, les rayons du soleil ont eu vent de ce qu'il c'est passé cette nuit entre Aurore et Rémi et ils viennent chatouiller cet amour qui naît. Ils jouent sur la joue dorée d'Aurore, la bien nommée. Un prénom de princesse, disaient ses copines en primaire.
Rémi effleure ses cils de la main, doucement. Lui, non plus depuis leur rencontre n'a pas émis une parole. Il faut dire que parler, à la réception où ils se sont rencontrés tenait d'une mission impossible. Dans le fracas de l'orchestre et les danses des festivaliers, il aurait fallu hurler pour s'entendre. Comment se sont-ils vus et reconnus dans cette foule bigarrée du Carnaval de Venise ? Rémi pense que c'est la lumière dorée de son masque qui l'a séduit, le contraste entre ce masque et une ombrelle noire finement dentelée, et son geste aérien, aussi : l'index sur la bouche, l'intimant au silence, elle lui avait pris la main et l'avait emmené dans les rues surpeuplées de Venise. Tout le monde chantait et dansait et personne ne faisait attention à eux, ombres fugitives voguant vers des amours secrètes.
Arrivés à l'hôtel, ils avaient fait l'amour passionnément, sans un mot. Elle avait ouvert la porte-fenêtre, nul bruit dans ce jardin, une cour avec quelque arbustes plutôt. Epuisé de tant de volupté, il s'était endormi. Il ne l'avait pas entendu se relever au milieu de la nuit pour enlever tout ce lourd mascara qui assombrissait son regard, nuages sombres d'orage zébrés de quelques éclairs de paillette. Elle avait également enlevé ce rouge à lèvre tirant sur le violet, qui rendait son teint si pâle. Et maintenant, il la voyait en plein jour, totalement démaquillée, pure jeune fille à la peau saine, pores resserrés, à peine marquée par la nuit qu'ils venaient de passer. A moins qu'il n'ait rêvé et que cette jeune fille aux yeux de perle ne soit pas la peine qu'hier soir. Il revenait sans cesse à ses yeux, ils les découvrait dans la lueur du matin. Il lui semblait que les oiseaux dans le jardin s'étaient tus eux aussi pour admirer l'aube, ou Aurore.
Se décidant enfin, il sourit, heureux de sa vie qui commençait ce jour, et prononça : "Comment t'appelles tu, belle inconnue ?"
Il n'eut pas le temps d'éviter la lourde lame gris acier du couteau de sa belle.
C'était ma participation à l'atelier de Leiloona sur deux photos de © Romaric Cazaux
en mixant avec la consigne de Gwenaelle , (suivre le lien pour lire les autres participants)
Ce dimanche, Saint Valentin oblige, nous allons parler d’Amour (d’amûûûr…. même) mais pas en niveaux de gris, plutôt en CMJN, si vous voyez ce que je veux dire (cyan, magenta, jaune, noir pour ceux qui n’auraient pas fait PAO pour les Nuls, comme moi).
Je vous cite un extrait du dernier roman de Hubert Haddad, Le peintre d’éventail, et vous propose de continuer l’histoire à votre guise.
Un amant silencieux était pour elle une bénédiction. Celui qui se tait n’attend rien de vous. Les peaux suffisent amplement au dialogue. Quelques baisers, la cigarette qu’on échange, un sourire après l’amour, et la présence du jardin, si proche…