Raconter des histoires (de poneys et de chevaux mais pas seulement) Participer à des défis littéraires
Sur une idée d'Asphodèle et d'Aymeline
Chère Zazie,
Depuis que tu as déménagé sur Mars, je trouve le temps long, n’ayant plus personne à qui me confier.
Je suis confortablement installée à mon bureau, et j’en profite pour t’écrire ce mot. J’étais en train de finaliser mon rapport hyper urgent (à rendre pour hier tu penses bien !), lorsque mon patron est entré tout à l’heure dans mon bureau.
Je le cite : « Bonjour, Esméraldine. Dès que vous aurez fini ce rapport sur le diabète, merci de passer à ce sujet de recherche documentaire «Sida et médicaments génériques au XXIème siècle » Vous avez trois jours. Compte tenu de ses délais de plus en plus courts que nous impose le siège, merci de faire vos meilleurs efforts, comme d'habitude bien sûr », a-t-il ajouté avec un sourire charmant.
Comme à mon habitude, je suis restée calme et j’ai acquiescé.
Ce travail au Centre de Recherche des Maladies me plait beaucoup. je travaille dans le service 'MEDDCA « Maladies Eradiquées Depuis plus de Deux Cent Ans » alors que ma collègue Cléopatre travaille dans le bureau MAEDU Maladie A Eradiquer D'Urgence. Bien entendu, la pression n'est pas la même dans ces deux services : je travaille sur des maladies qui ne font plus peur à personne depuis longtemps tel cancer, sida ; ces recherches documentaires ne sont jamais très urgentes malgré ce qu'a dit mon patron il y a à peine un quart d'heure. Ma collègue Cléopâtre, par contre, s'occupe de maladies autrement plus graves qui tuent chaque jour de nombreuses personnes : scarlatine, roséole et la redoutable varicelle.
Cependant, nous nous entendons très bien, nous avons le même âge : 80 ans, (nous sommes parmi les plus jeunes du Centre) et sommes très complices ; sans doute du au fait de nos deux prénoms rares qui soulèvent toujours maintes questions aux personnes qui nous rencontrent.
Quelle est l'origine de votre prénom ? Pourquoi vos parents l'ont il choisi ?
Comme tu le sais déjà, je suis née en 2 331 : mes parents, deux passionnés de littérature française, avaient alors longtemps débattu sur le choix de mon prénom, prénom que je suis la seule à porter (à ma connaissance du moins).
- « Esméralda » s'écriait ma mère, en allusion à un certain Victor Hugo, auteur aujourd'hui totalement inconnu.
- Pas question, plutôt Fantine, soutenait mon père qui avait également une grande estime pour le Victor Hugo en question
Et c'étaient là des discussions à n'en plus finir, mais je t’ai peut-être déjà raconté cette anecdote.
Mes parents, ayant tous deux la conscience qu'un bon compromis vaut mieux qu'une lutte acharnée, finirent par trancher pour Esmeraldine, la contraction de leurs deux prénoms préférés.
« Réjouis toi ma fille m’a dit un jour mon père ému : tu aurais pu t'appeler Fantinalda, ce qui est moins mélodieux, et ni ta mère ni moi n'avons envisagé de t'appeler Quasimoda»
Cléopâtre, ma collègue, quant à elle ne sait pas d'où lui vient son prénom mais il est rare et elle aime être particulière et originale. Mais comme d'habitude, je me noie dans des détails : venons en au fait et à ma découverte du jour.
Suite à l’interruption de mon patron, j’ai expédié le dossier en cours et j’ai attaqué mon nouveau sujet de recherche : c'est la partie qui m'intéresse le plus : la découverte d'une maladie n'existant plus, et où, tel un chirurgien disséquant les documents épars trouvé sur le Net, je redonne vie à ces maladies disparues.
Discrètement je me suis assurée que personne ne regardait ce que j’étais en train de faire : me connecter à G.. . Comme tu le sais, Google est désormais interdit et je risque le licenciement sec si on me prend la main dans le sac.
Le moteur de recherche autorisé maintenant est Bingoo, depuis la fusion il y a trois siècles des deux moteurs Bing et Google, seuls survivants d'une lutte commerciale acharnée. Je ne peux pas m'en rappeler, je n'étais pas née mais ma grand mère m’a raconté tant de fois ces épisodes que j’ai l'impression de les avoir vécus.
Je ne suis pas contestataire dans l'âme mais utiliser Google fait partie intégrante de mon travail et représente ma botte secrète. Mon patron ne s'en doute pas mais les mines d'informations que je trouve sur ces maladies disparues viennent bel et bien de ce dinosaure de Google.
Depuis le Bang Bing en 2111, Google et le web 5.0 se sont figés et aucune mise à jour n'a eu lieu : il faut de sérieuses compétences en informatique pour y accéder mais cela en vaut la peine : c'est une mine d'informations : une vision du monde tel qu'il l'était il y a 4 siècles au Climatocène (1).
En ce jour de Juillembre 2411 (2), j’ai donc arrêté de rêvasser et je me suis donc connectée à Google., ce moteur de recherche antédiluvien.
J’ai donc tapé ce premier mot clef dans le moteur de l'antiquité pré bang bing : « GENERIQUE »
Comme toujours, la pêche s’est révélée fructueuse. La page d'homonymie m’a emmené vers des pages traitant des médicaments génériques mais aussi vers une multitudes de sites diffusant les différents génériques de films vieux de 400 ans et plus. Pour un temps, j’ai donc délaissé le travail pour lequel je suis payée, pour visionner des dizaines de génériques de films prébangbingesques. Méticuleusement, j’ai déterré telle une archéologue les nombreux génériques de films inspirés par Notre Dame De Paris et des Misérables, romans qui me valent mon prénom.
Ces vestiges du passé sont là disponibles pour ceux qui le veulent et devenus totalement inutiles, tels des fossiles de tyrannosaure. J’ai eu comme une bouffée de nostalgie: je m’en veux mais je regrette cet ancien temps que je n'ai pas connu mais que les récits enthousiastes de ma grand mère avaient su rendre si vivants.
Par contre, si j’idéalise ce passé révolu, j’ai bien conscience de la différence entre les résultats obtenus de G. avec ceux que je trouve sur le moteur de recherche officiel : celui ci est très perfectionné : j’ai juste à penser l'objet de ma recherche et la liste des réponses en rapport avec celle ci s'affiche. Mais là pas de recherche d'homonymes ou de double signification possible !!!.
Bingoo ne donne que des réponses pertinentes et dans le sujet. Les résultats sont toujours en rapport avec le contexte et on ne peut trouver que ce que l'on cherche. C'est l'inconvénient de la recherche par la transmission de pensée. L'utilisateur formule sa demande non plus par des mots tapés sur un clavier mais formule sa demande dans sa tête. Le moteur de recherche m’affiche alors des liens en relation avec mon interrogation du moment et rien qu'elle. Avec lui aucun risque de s'évader et de découvrir des termes inconnus comme les joies de l'interprétation de la position des étoiles : La semaine dernière, j’ai découvert cette discipline au sujet d'une recherche sur le cancer. C'est alors un monde fabuleux qui s'est ouvert à moi : cette discipline oubliée, l'astrologie, analysait la position des planètes du système solaire et en tirait des analyses, sinon farfelues, au moins originales et poétiques : Lune en Capricorne, soleil en maison XII, ascendant gémeaux et tout ce bestiaire : Bélier, Taureau, Lion et bien sur Cancer, petit crabe illustrant ces précédentes recherches sur une maladie aujourd'hui vaincue et éradiquée. Bingoo, lui, ne fait aucun état de l'astrologie et lancer une recherche sur ce terme arrive fatalement au fameux « erreur 505 votre demande concerne soit une superstition, une religion ou une activité non autorisée »
Je me sens vieille ; je préfère Google à Bingoo et me surprends à dire comme mes parents : « Internet va tuer les livres , les jeunes ne savent plus lire, chercher, rêver ». Pourtant j’ai 80 ans à peine et me sait (statistiquement parlant) à la moitié de sa vie. Peut être devrait je arrêter de consulter ces vestiges du passé ? Cela me rend mélancolique. Ainsi après une heure de vagabondage illégal, je me suis dit comme souvent, mais sans trop y croire, « demain j'arrête et je détruis le programme permettant d'accéder au WEB 5.0 ».
Bon il faut que je retourne bosser et j’en viens à l’objet de ma lettre : tu savais que ton prénom Zazie venait d’un livre et d’un film « Zazie dans le métro » ?? je t’en parlerai dans mon prochain mail
Et toi comment est la vie sur Mars ?
Bises
Esméraldine, ton amie qui t’aime
Climatocène : mot inventé désignant l'époque succédant au Pléistocène. Cette période va de – 10 000 avant JC jusqu'au Bang Bing de 2111; elle est caractérisée par de nombreux climats sur tout la planète : climat continental, tropical, méditerranéen, arctique....
(Vous vous dites sûrement, Juillembre mais sur quelle planète sommes nous dans cette nouvelle sans queue ni tête où on ne voit pas où on va arriver et qui n'a pas les mois dont nous avons l'habitude ?) Et bien oui depuis le Bang Bing de 2111, le réchauffement climatique a été tel que le gouvernement mondial a décidé qu'il n'était plus nécessaire de découper l'année en douze mois : 4 saisons feraient aussi bien l'affaire : de toutes façons le temps était quasiment identique tout au long de l'année : chaud et sec en Janmars, chaud et humide en Avriju, Chaud et venteux en Juillembre, Chaud et chaud en Octembre. Enfin, est ce le Bang Bing qui a provoqué le réchauffement climatique ou le réchauffement climatique qui a provoqué le Bang Bing ? Nul ne le sait et personne ne semble avoir la clef de l’énigme. Ce néologisme (juillembre) est emprunté à « l'arrache coeur » de Boris Vian disponible dans toute bonne bibliothèque municipale.