Raconter des histoires (de poneys et de chevaux mais pas seulement) Participer à des défis littéraires
Sur une proposition de Gwenaelle
La consigne :
Poème Barbara
Jacques Prévert, Paroles
Grâce à Jacques Prévert, nous savons ce qui s’est passé rue de Siam « ce jour-là »* mais qu’est-il arrivé rue de l’Observatoire à Paris ou rue des Fougères à Trifouillis les Perlouses?
Choisissez un nom de rue et racontez ce qui s’est passé « ce jour-là… ». En poésie ou en prose, comme vous voulez…
* Le poème de Prévert se réfère aux 165 bombardements de la ville de Brest entre le 19 juin 1940 et le 18 septembre 1944. Votre récit devra se situer quelque part entre ces deux dates.
Les textes des autres participants sont ici
9 avril 1942, rue des Petits Ménages
Emile est épuisé par sa journée de travail et rentre d'un pas fatigué chez lui
Ou plutôt il rentre épuisé de sa nuit de travail : le soleil n'est pas encore tout à fait levé, mais il ne fait pas sombre non plus. Une nuit de plus, à soigner, réconforter des blessés, en tant que garçon de salle dans l'hôpital de la rue des Petits Ménages à Issy les Moulineaux. Le travail est loin d'être de tout repos, les corps sont lourds, les médicaments manquent ; il ne lui est pas possible de soulager toute cette douleur autrement que par des mots , alors il écoute, dès fois il parle mais surtout il écoute. De temps en temps il va poster une lettre pour un de ses malades.
L'autre homme a repéré Emile depuis cinq minutes et l'observe pour être sûr qu'il n'a pas été suivi. Pierre a 42 ans et se demande où va sa vie, où va son pays dans cette guerre atroce. Ces faux papiers sont dans sa poche Pierre Le Meur, est il écrit ! Cela fait deux ans maintenant qu'il est dans la clandestinité et que personne ne l'a appelé Corentin. Maintenant il est Pierre. Mobilisé en 1939, il a eu la croix de guerre pour son « courage » pendant la bataille de mai 1940. Mais maintenant .... que faire ?.... son action lui paraît dérisoire, indispensable mais dérisoire !
Emile attend maintenant son rendez vous à l'angle de la rue des Petits Ménages. La rue est déserte, les gens ne sont pas encore partis soit au travail soit dans la longue quête de nourriture qui occupent leurs journées.
Viendra t il d'ailleurs ce rendez vous ? : il lui autorise un quart d'heure de retard ! pas plus sinon il risquerait d'attirer l'attention de l'occupant. Il a bien ses papiers sur lui qui l'autorisent en tant qu'infirmier à naviguer dans Paris et ses environs à toutes heure du jour et de la nuit mais sa mission de l'ombre doit rester discrète.
Le rendez vous ? un homme ? une femme ? Il ne le sait pas et attend, se répétant la phrase qu'il doit dire et celle qui doit être répondue selon leur code. Ensuite, l'inconnu(e) lui remettra , un paquet , une adresse à mémoriser et disparaîtra dans le matin qui se lève. C'est une de ses premières missions, il est encore un peu nerveux, a t il le droit de fumer ? doit il rester immobile ou faire les cents pas ? Et Henriette qui l'attend à la maison comme tous les matins ? Pour le moment ça va, mais comment feront ils dans deux mois quand il y aura une bouche de plus à nourrir ; et puis il faudrait qu'il trouve plus à manger pour Henriette sinon elle ne pourra jamais allaiter l'enfant. Si elle savait ce qu'il est en train de faire, c'est sûr elle s'inquièterait
C'est Pierre qui a choisi le lieu du rendez vous. Lui aussi il a travaillé dans cet hôpital et connaît toutes les petites rues d'Issy les Moulineaux, au cas où il aurait besoin de prendre la fuite. L'homme, à qui il doit remettre le paquet est bien jeune, pas plus de la vingtaine se dit il. Il remarque sa jambe raide, sûrement ce qui lui a valu de ne pas partir au STO. Peu importe sa jambe d'ailleurs, l'important est le paquet
Perdu dans ses pensées, Emile a à peine le temps de se retourner que l'homme est derrière lui :
L'échange est très rapide Les deux hommes ont chuchoté : « quand nous en serons au temps des cerises », a dit Emile en ramassant un papier qu'il a fait tomber exprès. « les étoiles au ciel auront un doux frou frou » a répondu comme convenu Pierre-Corentin, lui donnant le paquet qui renferment les tracts à transmettre à une autre fourmi de leur organisation.
Les deux hommes entendent d'un coup le bruit des bottes qu'ils redoutaient; L'échange est fait, ne pas s'éterniser, filer au plus vite , ne pas se retourner, ne pas courir , respirer normalement, ne pas croiser les yeux de l'ennemi, ne pas se retourner., ne pas accélerer, ne pas ....ne pas, ne pas paniquer.....
Les deux soldats eux se retournent et regardent la jambe folle d'Emile sans faire de commentaires, son uniforme de garçon d hôpital est éloquent. Les soldats allemands passent leurs chemin. Pierre, dans l'encoignure d'un porche, est invisible. Une nuit de plus dans la clandestinité est passée.
Emile et Pierre ne se reverront plus, dans la résistance il est rare de revoir les camarades d'une mission.
Ils ne se sont pas regardés, Pierre le Meur, alias Corentin Celton, repart vers la clandestinité et vers son arrestation du lendemain mais cela il ne le sait pas encore.
Emile rentre chez lui à deux pâtés de maison : il déjeunera avec Henriette avec ce qu'elle aura pu trouver la veille avec leurs tickets de rationnement, ils se chamailleront sur le choix de prénom de ce petit qui s'annonce, il dormira un peu puis reprendra le travail à l'hôpital ce soir, repensant à cet homme qu'il a à peine aperçu, qu'il ne reconnaîtrait pas s'il le croisait à nouveau dans la rue. Cet homme, plus âgé que lui, il a eu envie de serrer dans ces bras, ce camarade, qui comme lui veut se battre, pour l'avenir, leurs enfants. Tiens a t il des enfants cet homme qu'il ne reverra plus ?
Corentin Celton sera arrêté le lendemain et fusillé à Suresnes en décembre 1943.
La station de métro de la ligne 12 « Petits ménages » sera rebaptisée Corentin Celton en 1945, en hommage à son action de résistant.