31 mai 2013
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Quand j’ai entendu la petite fille dire, de sa voix de cristal qui me bouleverse, « Et si on prenait le kangourou », j’ai su que ma fin était proche, enfin ma fin en tant que moi, kangourou, je ne sais pas si je suis très claire, j’ai été un peu tourneboulée ces temps-ci. Mais je sens que je vous égare et je reprends mon histoire au commencement. J’habite à l’Echo des Ecuries dans la chambre de la petite fille, celle qui répond au surnom de Ponette. Enfin, elle est en sixième, elle est donc déjà grande et je ne lui sers plus de doudou depuis longtemps. Je suis coincée sur une étagère entre un bateau de pirates, un livre de math sur les polygones et un Marsupilami récupéré non pas dans la forêt Palombienne mais dans une brocante à Audierne. Si vous n’avez jamais entendu parler un Marsupilami en langue Bigoudène, " Houba ar bigoudenned é vreskenn houba " (1) vous ne connaissez rien à la vie.
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Mais venons-en au fait. La concision n’est pas une facette de ma personnalité qui est prédominante et j’ai tendance à m’égarer, j’avoue aussi que je perds un peu la tête ces temps-ci.
La fillette est rentrée du collège un soir, enthousiaste en criant « La semaine prochaine, en Arts Plastiques, il faut amener deux doudous, nous allons les découper et recoudre les morceaux de l’un avec les morceaux de l’autre ». Là j’ai tremblé et je me suis vue défigurée comme la créature de Frankenstein. Comme de juste, sur l’étagère on s’est regardés avec Marsu : on était ses deux derniers doudous, les autres elle les avait donnés à son petit frère. On allait forcément servir de cobayes.
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Ni une, ni deux, nous nous sommes retrouvés dans le sac de la demoiselle. Le public de ce blog étant sensible, je ne vous parlerais pas de ma décapitation ni de celle de Marsu, des gloussements et des plaisanteries qui ont fusé dans la classe, la prof avait un petit air de vigile et passait dans les rangs pour éviter que la mousse des doudous ne vole à travers la pièce. Ponette a enrayé notre hémorragie de perles de polystyrène avec du scotch et nous sommes repartis Marsu et moi, en vrac et en pièces détachées dans son sac.
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Le weekend, il y a eu une grande séance de torture couture à l’Echo des Ecuries (elle a pas bien suivi les cours chez Patchcath, la Valentyne, parce qu’elle a perdu le fil plus d’une fois).
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J'ai eu aussi une frayeur parce qu'en plus de n'avoir plus toute ma tête je suis ailuraphobe (ce qui pour un doudou est génétique) et oui j'ai peur des chats ! J'ai donc à nouveau tremblé de tous mes morceaux de moi éparpillés dans le salon quand Valentyne a dit "j'arrive pas à passer le fil dans le chat de l'aiguille". Elle est un peu bizarre, la Valentyne, parce qu'il n'y a jamais de chat à la maison , ils sont allergiques qui disent.
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Une soirée plus tard, Marsu et moi on avait une figure presque humaine, j’ai récupéré un bras et une oreille de Marsu, son corps et ma tête sur les épaules, enfin les épaules du Marsu si vous voyez ce que je veux dire.
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J’avais donc à nouveau mes idées en place au crépuscule ce dimanche. Une nouvelle vie commence pour nous, nous venons d’être rebaptiseés : Je suis Kangoul'ami et mon pote, Marsugourou (parce que forcément le petit frère a voulu participer, il a cousu comme un chef).
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A travers le prisme de cette aventure peu banale, j’ai découvert une vérité que je vous fais partager : « Le commencement et le déclin de l'amour se font sentir par l'embarras où l'on est de se trouver seuls" (2). En tout cas, moi et Marsu, on s'est observés sous toutes les coutures et on est comme en symbiose : plus jamais on ne se crêpera le chignon.
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1 " Houba ar bigoudenned é vreskenn houba " (1) Houba les Bigoudènes en folie Houba (note du traducteur)
2 Jean de la Bruyère
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Les mots collectés par Olivia
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Pirate bateau bigoudène crêpe chignon perle cristal facette prisme polygone soirée crépuscule declin fin vigile