Ma chère Rose,
Je vous écris nuitamment du bout du monde, mon lumignon faiblit et bientôt je devrais m’interrompre jusqu’à demain, nouveau départ de notre rallye. Pardonnez moi si mon écriture est donc hésitante : c’est dû au manque de lumière et non à un quelconque virus attrapé dans ce pays loin de notre chère Normandie.
Je ne vous raconterai pas le voyage de Rouen à Marseille, je ne vous cacherai pas que je n’y aie fait aucune découverte et que j’attendais impatiemment de poser le pied sur le sable africain. La traversée de Marseille à Alexandrie s’est passée dans des conditions plus que correctes : pas de tempête, je n’ai pas eu le plus petit mal de mer. Mon employeur a profité de ces quelques jours de répit dans notre périple pour me faire lire le début de son recueil les « Hiéroglyphes de la pierre de Rosette ». Je suis sûr que cet ouvrage vous passionnerait autant que moi, tendre amie.
A propos de Rosette, figurez vous qu’il y a une ville qui se nomme ainsi à l’est d’Alexandrie. Quand je regarde la carte j’ai donc souvent une pensée pour vous, très chère Rose.
Après l’arrivée à Alexandrie, nous nous sommes mis en route pour Assouan. J’ai à peine eu le temps de me promener dans le port et la vieille ville que nous étions déjà repartis.Un des dessins que je vous joins est un des plus beaux moucharabiehs d’Alexandrie, que j’ai eu le temps de croquer.
Notre périple va durer des jours, voire des semaines. La traversée du désert s’effectue à dos de dromadaire et franchement, jamais je n’ai autant regretté le confort de nos chevaux normands. Là haut, sur le dos de ces bêtes placides, j’avais comme un mal de mer, celui qui m’avait été épargné au départ de Marseille, m’a rattrapé plus vite que je n’écris en ce moment. Ballotté à droite et à gauche avec pour seul horizon le dromadaire me précédant dans la caravane et du sable à perte de vue : une mer de sable, mouvante, écrasée sous un soleil de plomb. La personne qui me précède est un authentique autochtone. Quand il me parle je ne vois que ses yeux qui dépassent de son foulard qu’au départ je prenais pour un masque de carnaval. Mais cet accoutrement s’est révélé indispensable pour ne pas manger du sable toute la journée et ne pas être cuit par le soleil.
Le contraste entre la vallée du Nil verte et fertile et le désert à quelques kilomètres à peine est saisissant. Parfois je me rêve oiseau pour prendre de la hauteur et voir le Nil serpenter dans les dunes, chargé de felouques ravitaillant le désert.
Un moment, nous avons longé le Nil, puis nous nous sommes enfoncés dans les dunes. Le soir, lors d’un rustique bivouac, auprès d’une oasis, nous nous restaurons de dattes, de figues séchées, de pâté de pintades embarquées à Marseille que nous n’avions pas fini de manger, de pigeons grillés, de fèves marinées dans un mélange d’ail et piment, de cumin et d’une multitudes d’épices dont j’ignorais le nom le mois dernier. Le thé ici est excellent, une fois que l’on en a pris l’habitude : il ne ressemble en rien à celui de votre Tante Marie, dans sa fine porcelaine de Limoges. Ici ce thé à la camomille, sorte de tisane bouillante, est servi dans des verres en étain sculpté de milles arabesque, plus pratique pour le transport à dos de dromadaires. Les pâtisseries sont fabuleuses, dégoulinantes de miel, gorgées d’amandes, de noix, un peu collantes comme quand vous nous prépariez vos croquembouches, mais si fondantes ! Le miel ici est de toutes les pâtisseries : Mon guide m’a raconté des légendes insoupçonnées : les abeilles sont nées des larmes du dieu solaire Râ. Ces larmes en tombant ont donné naissance aux premières abeilles qui auraient alors construit un rucher protégé par une substance appelée propolis, et pour Râ remercier lui aurait offert du miel.
Monsieur Jean François m’a promis de festoyer la semaine prochaine chez les bédouins, en l’honneur de mon vingtième anniversaire : je l’appelle Jean François, maintenant, c’est lui qui a insisté : il me parait si sage et si érudit : il a à peine 31 ans mais quel homme : il parle couramment arabe bien sûr mais aussi copte, hébreu ….
Le temps ne s’écoule pas ici, comme chez nous à la ferme. Les jours s’étirent et se ressemblent, nous vivons en vase clos : les nouvelles de la France nous parviennent au compte-goutte au fur et à mesure des rencontres : nous avons appris que Mr de Clermont Tonnerre avait été nommé ministre de la marine de Louis XVIII ce premier lundi de février 1822 alors que la nomination datait du 14 décembre dernier. Un mois et demi après donc. Je ne sais quand vous aurez cette lettre et où je serai au moment où vous la lirez.
J’écris, toujours à la faible lumière et ce que je dis n’est pas très ordonné mais comme cela me vient, ma chère amie: du dépaysement, des paysages grandioses, des gens attachants Je ressens également un brin de nostalgie (vous me connaissez je ne suis pas menteur) aussi quand je pense à nos vertes prairies de Normandie, et l’odeur de l’air avant que la pluie ne tombe. Il faut que je vous dise qu’ici les odeurs sont fabuleuses et surprenantes pour le petit normand que je suis : les parfums des femmes ici sont épicés, envoûtants, mélange d’odeurs de pins, de cannelle et de myrrhe lentement macérée dans un vin local pendant plusieurs mois.
Mr Champollion a bien voulu consentir à ce que je poursuive l’expédition avec eux en temps que peintre et dessinateur. Toute la journée je m’entraîne à copier ces fresques magnifiques : que l’on trouve devant les pyramides.
Les quelques dessins que je vous envoie avec cette missive représentent des divinités égyptiennes : le cheval d’Astarté, la statue de Ramsès II, pharaon impitoyable dont je vous raconterai l’histoire dans une prochaine lettre. Je manque de papier et vous mets donc mes dernières esquisses sur cette enveloppe.
Je vous embrasse, ma Rose, avant que ma lumière ne s’éteigne. Donnez moi de vos nouvelles et de celles de vos parents. En m’endormant je me réciterai ce poème de la pléiade que j’affectionne particulièrement, Ronsard : « Vous me dites Maistresse, estant à la fenestre » et aussi « mignonne allons voir si la Rose », en pensant à vous
Votre dévoué Joseph
Les mots collectés par Olivia :
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La consigne des impromptus
Ancien moulin, tourelle, colombier ou gâteau de pierre, vous ignoriez que l'édifice recelait un document en partie effacé, un étrange puzzle de mots énigmatiques : parfum, consentir, lumignon, croquembouche, impitoyable.
En utilisant tous les mots sous la forme qui vous plaira, imaginez en vers ou en prose ce qui vous semble être le message original caché dans la tour