Lecture commune avec Noctembule
Agilulfe Edme Bertrandinet des Guildivernes et autres de Carpentras et Syra est un soldat de l'armée d'un Charlemagne vieillisant. Tout le ressort de l'histoire tourne autour du fait que ce chevalier au nom improbable, n'existe pas. C'est une coquille (ou plutôt une armure) vide. Il est donc inhumain, mais aussi surhumain : il n'a aucune faiblesse humaine, il fait semblant de participer aux banquets et ne fait que travailler, inspecter les autres soldats, rapporter leur petits méfaits ou arrangements avec la dure vie de la garnison. Bien entendu il ne dort jamais :
"Du fond des tentes coniques, montait comme un sourd concert de souffles d'hommes endormis. Ce que pouvait être le bonheur de fermer les yeux , de perdre tout sentiment de soi-même, de s'abîmer dans le gouffre de sa propre durée, et puis, au réveil, de se retrouver tel qu'avant, prêt à tisser de nouveau les fils de son existence, cela, Agillulfe était incapable de le concevoir ; l'envie qu'il éprouvait devant cette faculté de dormir accordée aux personnes existantes, restait un sentiment confus, l'envie de queque chose dont on n'a pas la moindre notion." (p 19)
Tout cela fait que Agilulfe est détesté de ces contemporains.
Gourdoulou, l'écuyer que Charlemagne lui octroie, est son opposé : il vit, respire, dévore la vie à pleine dents, séduit les damoiselles mais a dans la tête à peine la conscience d'un petit pois, il se prend régulièrement pour un canard, un papillon.... alors qu'Agilulfe ne "vit" pas mais réfléchit énormément.
Un jour, le titre de chevalier d'Agilulfe est remis en cause. Celui ci doit partir à l'autre bout du monde pour retrouver la princesse Sofronie qui pourra attester du fait que Algilulfe a bien eu trente ans auparavant un comportement exemplaire et qu'il mérite bien son titre.
J'ai beaucoup aimé le ton burlesque indiqué dans la quatrième de couv. Les personnages se croisent sans se rencontrer : la guerrière Bradamante, Raimbaut un jeune homme qui veut venger son père tué par un émir, (il finit par y arriver mais sans panache et se trouve ainsi bien ridicule). Raimbaut tombe amoureux de Bradamante alors qu'elle même se consume pour Agilulfe, le chevalier qui n'existe pas.
J'ai bien aimé également les chapitres où c'est une nonne, Théodora, qui raconte la quête d'Agilulfe. En particulier les passages, qui mettent bien en évidence toutes les difficultés de coucher sur papier une histoire qui se déroule sous les yeux de l'écrivain, faire partager au lecteur cette émotion n'est pas toujours évident : "Voyons : il me faut maintenant représenter les terres traversées dans leurs pérégrinations par Agilulfe et son écuyer. Tout doit tenir dans cette page : la grand-route poudreuse, la rivière ; sur la rivière, un pont ; Agilulfe vient précisément de le franchir,sur son cheval au sabot léger : toc-toc, toc-toc... Il ne pèse pas lourd ce chevalier sans corps, sa monture peut parcourir des lieues et des lieues sans se lasser ; quant au maître il est increvable. Tiens, sur le pont, voici que passe un lourd galop : toutoutoum! C'est notre Gourdoulou, qui fonce, accroché à l'encolure de son cheval ; leurs deux têtes sont tellement rapprochées que c'est à se demander si c'est le cheval qui pense avec la tête de l'écuyer ou l'écuyer avec la tête du cheval ...je trace sur mon papier une ligne droite, avec par-ci par là quelques brisures : c'est le trajet d'Agilulfe. Et puis cette autre ligne, toute en tortillons et en zigzags: ça c'est la route de Gourdoulou. Sitôt qu'il voit voleter un papillon, il pousse son cheval à sa suite et se figure qu'il est en selle non du cheval mais du papillon, alors il s'égare et s'en va flanant par les prés. Pendant ce temps, Agilulfe tient son cap et s'avance, droit comme un i . (p129)
Enfin, la guerre et ses combattants sont souvent tournés en ridicule , d'une façon fine et subtile (les passage sont nombreux , en voici un parmi d'autres) :
Si la puissance d'une armée se mesure au chahut qu'elle mène, certes la retentissante milice des Francs apparaît dans toute sa force quand sonne l'heure du rata. Le bruit se répercute à travers plaines et vallons, très loin pour se confondre avec l'écho d'un autre charivari, qui provient des marmites infidèles. L'ennemi aussi, à la même heure, s'applique à ingurgiter une exécrable soupe aux choux. La bataille d'hier était moins assourdissante. et surtout moins nauséabonde. (p75)
En conclusion : j'ai beaucoup aimé ce conte philosophique dans la droite ligne du "Baron perché" et du "Vicompte pourfendu" à la fois léger et qui fait réfléchir, loufoque et grave.
Je me suis limitée en extraits , j'avais mis une quinzaine de post-it sur des passages qui m'ont plût.
Une escale en Italie
et ma première participation au challenge de Catherine, "des contes à rendre"