Les liens vers les autres participants sont chez Olivia
Arènes de Nîmes, 1995
Les hauts parleurs crachouillent : « Le spectacle va commencer. Oyez Oyez Braves gens venez vous confronter aux lions, aux pirates et à leurs bateaux, aux géants des mers. Le spectacle Péplum de la Compagnie Royal de Luxe va commencer ».
Le vendeur ambulant ne hurle pas mais presque, essayant désespérément de se faire entendre entre deux annonces du haut parleur. « Saucisses 100% cochon ». Sa voix éraillée lance des aboiements pour dominer la cacophonie ambiante « Sandwichs avec un choix fabuleux poulet, jambon cru, agneau grillé, fromage »
Le grésillement de la viande sur le barbecue me donne l’eau à la bouche mais une menotte me tire inlassablement vers l’entrée des arènes.
- Je veux pas te perdre dans cette foule », murmure t elle et je dois tendre l’oreille, me pencher pour l’entendre au milieu des cris de vendeurs de hot dog et de ballons multicolores.
- Regarde le clown, il est sur un drôle de vélo !
Le cycliste extravagant, salopette à carreaux et nez rouge, pédale furieusement sur un monocycle. Il fait semblant de rater son spectacle, tout en jouant (faux) du clairon. Les enfants rient à gorge déployée de sa maladresse. Le clown s’effondre plusieurs fois par terre, mimant une lassitude épuisée, dans un grand fracas de cuivre. Puis, toujours muet, il mime le fait d’avoir une idée lumineuse. De toute façon avec le brouhaha ambiant, s’il parlait, personne ne l’entendrait. Alors, il s’attache une grosse caisse dans le dos, les enfants rient anticipant une chute encore plus impressionnante que les premières. D’un coup de rein, il remonte d’un coup sur son monocycle, la grosse caisse dans le dos et le clairon dans la main et ……..contre toute attente réussit de splendides pirouettes invraisemblables, déclenchant des applaudissements admiratifs.
Un peu à l’écart, une diseuse de bonne aventure promet sortilèges, remèdes contre la solitude et des jettaturas sur les belles-mères. En face, un artiste réalise des caricatures à main levée en trois coups de crayon. « Promotion trois caricatures pour le prix de deux signale un petit panneau devant lui ».
- Oui oui, on le fait dit ? demande t elle, enthousiaste ?
Dans un moment d’égarement, je cède et c’est, délestée d’une dizaine de francs et avec un portrait à la signature illisible sous le bras, que nous repartons vers l’entrée des arènes
Quelques Nîmois participent à la mobilisation générale du haut de leur balcon en jetant des confettis. Des ados se font rabrouer par une mamie pour avoir fait éclater des pétards trop près de son teckel hystérique. Plus loin, un cracheur de feu fait frissonner les badauds d’horreur ; une grande cicatrice en forme de virgule sur la totalité de sa joue le rend patibulaire à souhait. Cette blessure, maquillage adroit, associée au crépitement du feu, fait reculer la foule de quelques pas.
- Je peux avoir du pop corn, dis ? J’adore le bruit que cela fait quand on le croque : et du coca aussi avec une paille pour faire des bulles ? Dis oui, c’est la fête s’il te plaiiiiiiiiit !
- Bon d’accord !
Roulement de tambour : les retardataires se pressent pour ne pas manquer le début.
Enfin nous nous installons sur les bancs : « c’est plus dur qu’au cinéma, et il est où l’écran du spectacle ? », bafouille-t-elle en postillonnant des morceaux de pop corn enrobés de caramel. Encore un peu d’attente et le spectacle commence. Les yeux grands ouverts, écarquillés, elle regarde du haut de ces 4 ans, elle emmagasine les sensations, s’esclaffe.
Des bateaux surréalistes défilent sous nos yeux, sorte de ballet improvisé: Les bateaux sont fabriqués avec des morceaux de cartons découpés et peints sommairement en marron.
Dur de les imaginer flottant sur la mer mais peu importe. Les voiles flottent et claquent dans le vent, alors que justement cet après midi la chaleur écrase les arènes, en cette fin de printemps. Il y a une minute encore, pas un souffle ne se faisait sentir ! Nous sommes au deuxième rang et le metteur en scène a eu l’idée d’installer des ventilateurs géants qui nous soufflent le vent du large dans les cheveux.
« Les bateaux ont des jambes bien sûr » me dit elle sur un air de confidence « sinon ils ne marcheraient pas » : Et effectivement, je n’avais pas compris ce détail, les acteurs-bateaux virevoltent, font semblant de se cogner comme des autos tamponneuses, les faux corsaires sortent leur sabre et miment un combat héroïque. Ces objets de récupération semblent incongrus à mes yeux d’adulte mais les petits sont manifestement sous le charme : qu’un pirate se serve d’une louche comme sabre, pourquoi pas après tout ! Cela résonne mieux qu’une épée !
C’est quoi là bas ? demande elle, se trémoussant sur le banc, le doigt tendu vers l’objet de son attention.
- « c’est une bétonnière, un engin de chantier pour couler du béton et fabriquer des maisons».
Je me demande à quoi elle va servir, cette bétonnière anachronique dans cette arène millénaire, au milieu de bateaux sortis tout droit d’une imagination débordante.
Deux personnes activent la bétonnière, poussent celle-ci sur un rail en arc de cercle qui suit la courbe de l’arène, une troisième actionnant une manivelle qui fait tourner la bétonnière: Cet étrange équipage ne tarde pas à passer devant nous : et là nous respirons à pleins poumons l’air de la mer : Une grande bouffée d’air marin envoyée par la bétonnière : les gens crient : certains amusés et ravis de la surprise, d’autres moins contents, ceux du premier rang surtout, qui ont avalé les embruns amers ! Les bateaux nous emportent à nouveau vers des rivages inconnus, où la mer s’abat sur des rochers dans un tremblement.
- Beurk ça sent la mer, bredouille-t-elle écoeurée, rejetant le reste de pop-corn
Sur la scène, les bateaux ont disparu et ont fait place à des lions-en-carton-pâte et aux gladiateurs en chair et en os. Le spectacle se poursuit alternant (faux) chevaux de (vrai) manège (ceux qui tournent en rond, et où les chevaux montent et descendent avec une barre), pyramides égyptiennes en plâtre, parodies de pharaons marchant de profil….
Plus tard la bétonnière repassera et nous soufflera, sans un seul grincement, tour à tour du jasmin (hum), l’odeur des lions (rebeurk) sortis de leur brousse, sur un rythme de musique endiablée par moment, relaxant à d’autres.
Les bancs plus durs qu’au cinéma sont oubliés, et la magie opère.
Les mots collectés par Olivia
Cacophonie – cicatrice – cochon – grésillement – jettatura – aboiement – printemps – cycliste- blessure –amer signature – mobilisation – promotion – tradition – balcon – héroïne (héroïque à la place) - solitude – écran - tremblement - bredouille – égarement – oral – dévotion – extravagance – copuler – lassitude - virgule - brousse – épuisée -
Ce texte répond aussi à un jeu de Rebecca où il fallait aménager un texte en mettant un des cinq sens en avant.
Le texte initial fait pour les Impromptus Littéraires est ici (sur le sujet 5 sens)
Le lien vers un site présentant cette compagnie :
http://www.nantes.fr/la-veritable-histoire-de-royal-de-luxe