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Pierrot, au volant de son Kangoo jaune, peste à moitié. Il est en retard sur sa tournée. Alors que justement ce matin, il était parti tôt pour avoir le temps de discuter avec Pascal, son ami d’enfance. Tout cela parce que mémé Denise l’a alpagué pour lui faire changer une ampoule. Il est facteur, que diantre, pas dépanneur en tout genre mais il est incapable de dire non à une octogénaire. Si en plus, elle lui demande de l’aide, les yeux humides, en tordant son mouchoir aux motifs surannés ! Tout cela pour se rendre compte que la petite vieille n’a plus d’ampoule à baïonnette mais des ampoules à vis. Il faudra qu’il repasse ce soir, il l’a noté sur sa liste de choses à faire. En plus, elle a insisté pour qu’il avale un café turc, tellement contente de pouvoir parler à quelqu’un d’autre qu’à ces chats « cela ne prendra que cinq minutes » lui a-t-elle dit en minaudant.
Il accélère dans les petites départementales du Nord, s’il arrive après 11h00 il aura raté son ami, parti à la mairie de Sainte Calapelle, vaquer à ses occupations d’élu.
Plus qu’une seule boîte aux lettres avant celle de la ferme de Pascal et Françoise Vanden.
Des factures, des magazines à la couverture choc « sexe et people ». Pour les Vanden, le courrier est toujours volumineux : des revues professionnelles, des lettres de doléance aussi. Dans cette petite commune tout le monde se connaît et parfois les personnes écrivent directement chez Mr le Maire et non pas à la mairie.
Pierrot pense surtout à cette carte postale étrange. C’est de cette carte dont il veut parler à Pascal. La photo lui plaît beaucoup. Des marais, il dirait poitevins, même s’il n’y ait jamais allé.
La photo est paisible, on sent le courant doux et mélancolique, la barque rouge semble tranquillement portée par les flots. Peu de courant comme l’atteste la végétation, dont les longues branches semblent ruisseler, elles aussi. On a envie de faire une sieste en se laissant bercer doucement dans cette barque.
Ce qui inquiète, Pierrot c’est que cette carte est anonyme. Pas de signature : le verso de la carte est aussi inquiétant que le recto est calme et serein. Même pas un gri-gri illisible.
Il n’a pas l’habitude de lire le courrier de ces usagers (quoiqu’il a appris en formation que l’on ne devait plus dire usagers mais clients) mais là difficile de passer à côté du message de cette carte il y a marqué en gros « PRENDS GARDE A TOI »
En lettres rouge sang, majuscules, abruptes, presque rageuses.
Il a une pensée pour sa chère Myriam, sa chère sœur qui a pris son envol à l’autre bout du monde. Petite, elle s’était prise de passion pour Carmen et hurlait « et si je t’aime, prend garde à toi » et lui il faisait l’écho en criant « prends garde à toi » et ils riaient tous les deux, en pastichant cet opéra.
Les lettres écarlates dégoulinent sur la carte : c’est le même rouge que la barque sur l’image bucolique. Comment une phrase tout simple évocatrice de si doux souvenirs peut elle le narguer maintenant et l’angoisser à ce point.
Il a examiné le tampon de près : illisible, on voit juste 10 -03- 2006. En petits caractères, il y a marqué « le Lez », il ne s’agit donc pas d’une photo du marais poitevin mais d’une photo prise vraisemblablement dans l’Hérault. Cela ne l’avance guère sur l’expéditeur.
Perdu dans ces pensées, il passe devant la sente des chevreuils et aperçoit la voiture gris métallisé de Pascal, à l’extrême d’un champ fraîchement labouré. Pascal, son ami de la communale dans les années 60, que de bons souvenirs : les deux cancres au fonds de la classe, toujours à imaginer un mauvais coup, se déguiser en apaches, tirer les chevaux des filles, réinventer la guerre des boutons ! Quel chemin ils avaient parcouru tous les deux ! Pascal, fermier et maire de Sainte Calapelle, commune de cinq cent âmes et lui Pierrot, dit Pierrot la Lune, facteur de la dite commune et des environs. Comme d’habitude, la voiture de Pascal est mal garée et empiète sur la route : « il se croit seul au monde, le Pascal ». Pierrot le voit assis dans la voiture, un peu voûté.
Finalement cela l’arrange Pierrot, de le rencontrer ici, il sera seul pour parler avec lui de l’inquiétante carte postale. Françoise ne sera pas là à les écouter, à voir leur mauvaise conscience dans leurs yeux inquiets.
Pierrot se gare derrière la voiture de Pascal, il descend, un peu étonné que celui-ci ne sorte pas de la voiture pour l’accueillir. En s’approchant, il le voit affalé sur le volant, se précipite : Les idées se bousculent dans sa tête, Pascal aurait il eu un malaise, une attaque. Il ouvre la porte, soulève son ami. Un rond rouge au milieu de front. Les yeux grands ouverts semblent l’accuser.
Les mots collectés par Olivia
turc/turque – liste – avance – choc – minute – cancre – sexe – extrême – conscience – ruisseler – baïonnette – envol - surrané – apache – lune
La photo est celle des Impromptus littéraires
© crédit photo : Toncrate
Ce texte est ma première participation à un forum d’écriture collective sur ce site